Written by Maurice Maréchal
Translated by Lydia Gilliam
Sunday, September 27, 1914
Oh, it’s long and monotonous and depressing. We’ve been staying in a place for fifteen days already. In 1870, as much as I remember, there were formidable battles where the armies would truly bash into one another with dedication! We talk everyday about Gravelotte, Reischoffen, Rezonville. These names evoke action, forces expending in common effort, energy, heroism!!… I think about these cavalries sweeping the prairie, the hand-to-hand combat, or almost, on the village streets: they have seen them.. The Prussians! Us, we don’t see them! For the unfortunate infantry, the task is easy to resume: “To kill the fewest possible with artillery.” For those who march at night, they make their moves at dawn and at twilight, always with an air of concealment. Once they arrive at the combat post, everyone takes their positions: one such company here, another there, condemnation there; then we hide away in the trenches and wait. We see nothing, but we hear: it’s all the same few things! The artillery spits, count the blows, risk an eye to measure the distance from where the projectiles splinter; drop quickly when you sense, ironic, and mocking, the dss dss of a new cooking pot! And here is the heroism of our days: to hide as well as possible. Evidently, it’s a strength to mess around on one side and to send oneself to the other. Picrate and melanite fill the shells, the arrive with a little booboo. Boom! Oh, that one landed near here! Boom again! Good, everyone is on the ground, rolling in hay and dust, we can’t see anything because of the black smoke that blinds us. But you can hear the wheezes and it’s a hideous spectacle, unworthy of being told, of seven or eight good men, their middles split by a big noisy beast, the shell containing kilos of melanite. So, the least injured go about themselves, suffocating a little again under the blow of nervous emotion. They all feel small, so small in the face of that terrible thing – ones with bloody arms, others with shoes shredded by read tears – and they pass in front of the other trenches, hobbling but not crying. For the most part, they are courageous, perhaps also daydreaming – they divide again in terror, and as for the others who stay in the hole, someone will bury them tomorrow…
Then night arrives, the sun sleeps. How everything becomes beautiful: the sky, the trees, the hills. All the silhouettes clarify and the little bell tower of Thil is outlined, cut from black paper under the orange bottom of the skies. The smoke of the latest shells wanders slowly, taken by the wind. Everything is soft, tall, majestic, solemn.
Well, we get up without noise, pick up our bags, our guns, and get back to the billeting route. While the regiments put themselves back down, we return to our positions. It is cold, our hands freeze on the sight, and we don’t know well, oh, not truly! If we do what we agree is necessary for the homeland! We don’t take action!
Maurice MARÉCHAL
L’originale
Maurice MarechaL (roir chapitre 1, page 11).
Dimanche 27 septembre 1914
Ah, que c’est long et monotone et déprimant. Voilà quinze jours que nous restons sur place. En 1870, autant que je ii me rappelle, il y eut de formidables batailles où les armées se cognèrent vraiment avec acharnement ! On parle toujours de Gravelotte, Reischoffe, Rezonville. Ces noms évoquent de l’action, des forces dépensées dans un commun effort, de l’énergie, de l’héroïsme ! !… Je pense à ces régiments de cavaliers balayant la plaine, ces combats corps à corps, ou presque, dans les rues de village : eux les voyaient… les Prussiens ! Nous, nous ne les voyons pas ! Pour la malheureuse infanterie, la tache est bien facile à résumer : « Se faire tuer le moins possible par l’artillerie. » Pour cela on marche la nuit, les mouvements se font au petit jour et au crépuscule on a toujours l’air de se cacher. Une fois arrivé au poste de combat, chacun prend ses positions, ici telle compagnie, la telle autre, là le commandement ; puis on se terre dans les tranchées et on attend. On ne voit rien, mais on entend : c’est tout de même quelque chose ! L’artillerie se met à cracher, on compte les coups, on risque un œil pour mesurer la distance à laquelle éclatent les projectiles ; on se baisse vivement lorsqu’on perçoit, ironique et railleur, le dss, dss d’une nouvelle marmite ! Et voilà l’héroïsme de nos jours : se cacher le mieux possible. Evidemment, à force de s’amuser d’un côté et de l’autre à s’envoyer, les uns de la picrite, les autres de la mélinite : plein les obus, il arrive quelque bobo ! Boum ! Oh, celui-là arrive bien près ! Reboum ! Bon, tout le monde est par terre, roule de sable et de poussière, on ne voit plus rien à cause de la fumée noire qui vous aveugle. Mais on entend des râles et c’est le spectacle hideux, indigne d’être raconté, de sept ou huit bonshommes au milieu desquels est venu éclater avec un gros bruit bête, l’obus contenant des kilos de mélinite. Alors, les moins blesses s’en vont, suffoquant encore un peu, sous le coup de I’émotion nerveuse. On les sent tout petits, tout petits, en face de cette épouvantable chose, les uns le bras sanglant, d’autres le soulier déchiqueté avec un trou rouge, et ils passent devant les autres tranchées, boitillant niais pas pleurards. Pour la plupart, ils sont courageux, peut-être aussi songent-ils avec effroi que les voilà encore bien partagés et que d’autres sont restes dans le trou et qu’on les enterrera demain…
Puis le soir arrive, le soleil se couche. Comme tout devient beau : le ciel, les arbres, les collines. Toutes les silhouettes se précisent et le petit clocher de Thil se profile, découpé dans du papier noir sur le fond orange des cieux. La fumée des derniers obus erre lentement, emportée par le vent, tout est tendre, grand, auguste, solennel.
Alors, on se lève sans bruit, on ramasse les sacs, le fusil, et on reprend la route du cantonnement, tandis que des régiments reposés viennent nous remplacer sur les positions. Il fait froid, les mains gèlent sur le ·guidon, et on ne sait pas bien, oh non vraiment ! si on a fait quoi que ce soit d’utile pour la Patrie ! On n’a pas agi ! !
Maurice MARÉCHAL