The News

From Les heures longues

Written by Colette

Translated by Kate Palisay

 

Saint-Malo, August 1914

 

War? Before the end of last month, this was only a word, enormous, spelled out by the headlines of newspapers in the daze of the summer. War? Maybe, yes, a long way away, on the other side of the earth, but not here… to imagine that the same echo of war could leap over rocks, only wild to seem more gentle, at their feet, the wave, the sea’s lawn scattered, the honeysuckle, the land embossed by the talons of birds… This paradise was not made ​​for war, but for our short holiday, for our solitude. Hidden reefs under the sea only wanted the point of the boat; the watchful sparrow hawk banishing the birds. Each day, around noon, he ascended to heaven and was slow to come down; our seafaring twins discovered high, open sea, leaning on the wind, and his beautiful burning eyes did not look at the earth …

Yet it was war, that Cancalaise carrying on, that fish seller who last month had ceased to gossip and to laugh, who now claimed her dues in silver and bronze, and refused banknotes, who watched in the distance on the sea cortège of days to come without bread or cider…

It was war, that grocer who peddled on bicycle, the cheerful bell of his machine, noises of scarcity, warnings to hide the sugar, the oil, the petroleum…

It was war. In Saint-Malo, where sought the news, a thunder clap entered at the same time that we did: General Mobilization.

How could I forget that hour? Four o’clock, a beautiful day veiled by summer at the sea, the golden walls of the old city standing before a green sea on the beach, blue on the horizon – children in red swimsuits abandoning the sand for a snack, returning to the constricted, narrow streets … And in the middle of the city, all the commotion came at once: the alarm bell, the drum, the cries of the crowd, the tears of the children… Hurrying around the drum usher who is reading aloud; we do not listen to what he reads because we already know it. Some women leave groups in a rush, stopping as they are hit, then running again, with an air of having passed an invisible boundary and jumping to the other side of life. Some suddenly weep, and suddenly interrupt their own crying to think, “stupid mouth.” Teenagers grow pale and look ahead like sleepwalkers. The automobile carrying us stops, tightly inserted into the crowd, which freezes at its wheels. People climb it, to better see and hear, coming back down without having noticed us, as if they had climbed a wall or a tree; in a few days, who will know if this is yours or mine?… The details of this hour are painful and unavoidable to me, like those of a dream that I would simultaneously like to leave behind and eagerly pursue.

A dream, a dream…more and more, a dream: for as I pull away from the city, I go back toward the countryside, its sweeping wings, aghast by the alarm bells, these meadows, these harvests, this sleepy sea, are only a decoration separating me and reality : the reality is Paris, where the other half of myself lives, Paris perhaps closed at this hour, Paris suffocating and gray under its August haze, full of shouts, fermenting in heat and in fury, in anguish and in bravery…

Will this be my longest evening of the war, the one that I still pass over as I await departure, the one where the lifeless calm turned backwards into the sea, the image of violet boulders? All the night the sea stays quiet, without fold, without breath, barely rocking, all the umbrellas of the jellyfish spreading in a milky phosphorous of crystal blue…

 

L’originale

Saint-Malo, août 1914

 

La guerre ?… Jusqu’à la fin du mois dernier, ce n’était qu’un mot, énorme, barrant les journaux assoupis de l’été. La guerre ? Peut-être, oui, très loin, de l’autre côté de la terre, mais pas ici…. Comment imaginer que l’écho même d’une guerre pût franchir ces rochers, farouches uniquement pour que semblent plus doux, à leurs pieds, la vague, le gazon marin clairsemé, le chèvrefeuille, le sable gaufré par la petite serre des oiseaux…. Ce paradis n’était point fait pour la guerre, mais pour nos brèves vacances, pour notre solitude. Les récifs cachés sous la mer n’y veulent point de barque ; l’épervier vigilant en bannit les oiseaux. Chaque jour, vers l’heure de midi, il montait au ciel et tardait à redescendre ; notre jumelle marine le découvrait très haut, large ouvert, appuyé sur le vent, et son bel œil brûlant ne regardait pas la terre….

 

C’était pourtant la guerre, cette Cancalaise dure, cette vendeuse de poisson qui avait cessé, le mois dernier, de bavarder et de rire, qui réclamait son dû en argent et en bronze, et refusait les billets de banque, qui regardait au loin sur la mer venir le cortège des jours sans pain ni cidre….

C’était la guerre, ce garçon épicier à bicyclette qui colportait, au grelot allègre de sa machine, des bruits de disette, des avertissements de cacher le sucre, l’huile, le pétrole….

C’était la guerre. Dans Saint-Malo, où nous courions chercher des nouvelles, un coup de tonnerre entrait en même temps que nous : la Mobilisation Générale.

Comment oublierais-je cette heure-là ? Quatre heures, un beau jour voile d’été marin, les remparts dorés de la vieille ville debout devant une mer verte sur la plage, bleue à l’horizon, –les enfants en maillots rouges quittent le sable pour le goûter et remontent les rues étranglées…. Et du milieu de la cité tous les vacarmes jaillissent à la fois : le tocsin, le tambour, les cris de la foule, les pleurs des enfants…. On se presse autour de l’appariteur au tambour, qui lit ; on n’écoute pas ce qu’il lit parce qu’on le sait. Des femmes quittent les groupes en courant, s’arrêtent comme frappées, puis courent de nouveau, avec un air d’avoir dépassé une limite invisible et de s’élancer de l’autre côté de la vie. Certaines pleurent brusquement, et brusquement s’interrompent de pleurer pour réfléchir, la bouche stupide. Des adolescents pâlissent et regardent devant eux en somnambules. L’automobile qui nous porte s’arrête, étroitement insérée dans la foule qui se fige contre ses roues. Des gens l’escaladent, pour mieux voir et entendre, redescendent sans nous avoir même remarqués, comme s’ils avaient grimpé sur un mur ou sur un arbre ; — dans quelques jours, qui saura si ceci est tien ou mien ?… Les détails de cette heure me sont pénibles et nécessaires, comme ceux d’un rêve que je voudrais ensemble quitter et poursuivre avidement.

Un rêve, un rêve…. De plus en plus, un rêve : car à mesure que je m’éloigne de la ville, que je retourne vers les campagnes que balaie l’aile effarée des tocsins, ces prés, ces moissons, cette mer endormie ne sont plus qu’un décor, interposé entre moi et la réalité : la réalité c’est Paris, Paris où vit la moitié de moi-même, Paris peut-être fermé à cette heure, Paris suffocant et gris sous sa brume d’août, plein de cris, fermentant de chaleur et de fureur, d’angoisse et de bravoure….

Sera-ce ma plus longue soirée de la guerre, celle que je passe encore ici dans l’attente du départ, celle où le calme plat renverse, dans la mer, l’image des rochers violets ? Toute la nuit la mer se tait, sans pli, sans souffle, et balance à peine, toutes ombrelles épanouies dans un phosphore laiteux, des méduses de cristal bleu…