Haїr

From “La Libre Pensée Internationale”

Written by Nelly Roussel

Translated by Brianna Watson

January 22, 1916

Hate

I am not someone who says “Hate is, in itself, something impious and evil; it must be eradicated from the heart; it’s our duty as women.” I am not someone who preaches love for everyone, forgiveness for all the guilty. If love is a force, hate is another; and they create, invigorate, and regenerate each other. But you must know how to hate, like you must know how to love. To distinguish love and hate, make them enter the conscience, is a job of public salvation.

Personally, I do hate, relentlessly. But I do not hate anyone I am ordered to hate; I do not hate anyone blindly, confounding the innocents and the criminals, a whole nation who was odiously cheated. I hate those who, on both sides of the border, to whatever degree, responsible for mass killing: Pan-Germanists from there and “revenge seekers” from here, Gallophobes and Germanophobes, provokers of two peaceful people whose instincts and interests pushed to unite, to listen to each other, to work side by side in an eternal grand work of civilization. I hate those who, everywhere, in all our bloody and destroyed Europe, had, by their speeches or intrigues, thrown each other against millions of poor people too gullible and too compliant. – Oh! yes, I hate them! And against them I cry vengeance…

They are not, they are never but a handful, these miserable people! – yeast that makes the whole dough ferment, germ that’s never opposed by prophylactic measures. For some people who have the horrible luck to not die before the hatching of the monster they’ve incubated, I imagine, I want to believe, that the view of this is already a chastisement. They suffer another – another that even comes from their victims, from the unblinded eyes, and finally understanding the abominable absurdity of fratricidal fights, they find, the common hatred of these “evil shepherds” of these felonious guides who drive them to the abyss, the first terrain of understanding and reconciliation.

Of this hate, just and generous hate, source of love and happiness, savior of Peace, it will own us, we women, to jealously preserve the sacred flame.

L’originale

Haïr

Je ne suis pas de celles qui disent : « La haine est, en elle-même, chose impie et mauvaise ; il faut l’extirper des cœurs ; c’est là notre devoir de femmes. « Je ne suis pas de celles qui prêchent l’amour pour tons les humains, le pardon pour tons les coupables. Si l’amour est une force, la haine en est une autre ; et l’une et l’autre créent, vivifient, régénèrent. Seulement, il faut savoir haïr, comme il faut savoir aimer. Eclairer l’amour et la haine, y faire entrer de la conscience, est une besogne de salut public.

Pour ma part, je hais, implacablement. Mais je ne hais point ceux qu’on m’ordonne de haïr ; je ne hais point, en aveugle, confondant les innocents et les criminels, toute une nation qui fut odieusement trompée. Je hais ceux qui, des deux côtes de la frontière, sont, à un degré quelconque, responsables de la grande tuerie : pangermanistes de là-bas, et « revanchards » de chez nous ; gallophobes et germanophobes, excitateurs de deux peuples pacifiques que leur instinct, comme leur intérêt, poussait   à se rapprocher, à s’entendre, à travailler côte à côte au grand œuvre éternel de civilisation. Je hais ceux qui, partout, dans toute notre Europe sanglante et déchirée, ont, par leurs déclamations ou leurs intrigues, jeté les uns contre les autres des millions de pauvres gens trop crédules et trop dociles. — Oh ! oui, je les hais, ceux-là ! Et contre eux je crie vengeance…

Ils ne sont, ils ne furent jamais qu’une poignée, ces misérables ! — levain qui fait fermenter toute la pâte, germe d’infection auquel jamais ne s’opposèrent de suffisantes mesures prophylactiques. Pour quelques-uns, qui eurent l’horrible chance de ne point mourir avant l’éclosion du monstre qu’ils couvaient, j’imagine, je veux croire, que la vue de celui-ci est déjà un châtiment. Ils en subiront un autre — un autre qui viendra de leurs victimes mêmes, lorsque, les yeux dessillés, et comprenant enfin l’absurdité abominable des luttes fratricides, elles trouveront, dans la haine commune de ces « mauvais bergers », de ces guides félons qui les conduisaient à l’abîme, le premier terrain d’entente et de réconciliation.

De cette haine-là, haine justicière et généreuse, source d’amour et de bonheur, sauve­garde de la Paix, il nous appartiendra, à nous femmes, d’entretenir jalousement la flamme sacrée.

(La Libre Pensée Internationale, 22 janvier 1916.)