Carnet de guerre de Paul Perin

Written by Paul Perin

Translated by Elda Hricko

From the start of the attack, the 165th Infantry Regiment was sent to the inferno, the Caures woods, to try to hold back the German divisions moving forward one against ten. Several years after the battle, the soldier Paul Perin relives his traumatic experience of the pounding of heavy artillery fire from the enemy on this morning February 22nd. Therefore, he writes his journal in the present to document his impressions.

In the dirty grey dawn, under a blanket of snow, the upturned terrain mends its uniformity.

The captain arranges us back to back in the passageway, seated on our backpacks. We feel the thick snow that just started falling, melting down our necks. We are trying to sleep, annoyed and exhausted, but the pain of stiffening and the cold inflicts more torture and we can’t fall asleep. There are already close to ten centimeters of snow in the passageway and on our clothes. We are cold, hungry, and thirsty, we are depressed, and the sadness of the grey day which starts without provisions hardly revives us.

At about 8 o’clock, the 90th division, the only one that’s still left at the shooting battery, starts shooting. Goodness! Immediately a fire from hell comes in our direction. By 8s, the 305s fall every twenty seconds on the shooting battery. It’s a deafening racket. The fire is so violent that we are sure it will only last a few minutes.

Our heads lowered in the trench, we hear muffled bangs from the shells being shot off, and soon after, shrieks like hurricane winds, followed by an earthquake accompanied by terrible explosions. Then the artillery goes off quickly again, and we hear shells being shot off by 8s like the sound of the preceding gunfire that arrived shrieking.

Our heads are spinning, our ears are ringing, fellow soldiers have nosebleeds, and our hearts beat wildly in the commotion and the shells whizzing through the air.

The artillery is getting terrifyingly close now. Unable to hit our guns that still shoot off and on, the Huns begin fighting the earth with a methodical moving barrage. The shots are 150 meters in front of us; shells fall now only eight abreast with gunfire advancing a meter or two.

Our heads feel shattered by the noise and the nervous reaction starts to make us dance about in the passageway. Something frightening that I can’t erase from memory is the “Song of the Trees”, the huge trees of the forest eradicated by their roots from the many shells that gradually pile up, and like balloons sailing through the air they drift by with visible branches and roots, and then suddenly the weight crashes to the ground like lightning, crushing everything in its path.

One of these huge trees falls across the bottom of the passageway and its whole trunk is lodged into the path. Wounded fellow soldiers have a hard time clearing a way through.

The 90th division, feeling the end is near, now shoots without stopping. While we are flattened under the weight of the Germans shooting at us, I feel a mad fury that grips my throat hearing a 90 or a 120 shoot back at a 305 and 380 piece of artillery…

At about 10 in the morning, the passageway isn’t bearable anymore. We see shells falling one meter closer with each barrage. In a few minutes, we are going to die flattened and pulverized. We are covered with stones, earth, and branches, every object thrown by the explosions. We feel that it will be the end in a few moments; the terrain is beaten down all over and nothing is going to survive. Without having time to collect myself, an explosive skims past me and hurls me roughly into the side of the passageway without being hurt. The soldiers closest to the explosions run towards us, their faces bloody, and they are causing panic. They head towards the road, running over the backs of fallen bodies with crazed gestures in a total frenzy.

L’originale

Paul Perin

« Ces gros arbres des forêts, déracinés… et qui montent doucement, avec branches et racines. »

Dès le début de l’attaque, le 165′ R.I. (Régiment d’lnfanterie) est envoyé dans la fournaise, au bois des Caures, pour tenter de contenir, a un contre dix, la progression des divisions allemandes. Plusieurs années après la bataille, le soldat Paul Perin revit l’expérience traumatisante du pilonnage de l’artillerie lourde ennemie, au matin de ce 22 février. Aussi rédige-t-il son carnet de route au présent pour livrer ses impressions.

Dans l’aube grise et sale, sous la couche de neige, le terrain bouleversé a repris son uniformité.

Le capitaine nous installe dos à dos dans le boyau, assis sur nos sacs. Nous sentons la neige qui vient de se mettre à tomber, serrée, fondre dans nos cous. Nous cherchons à dormir, harasses, fourbus, mais la douleur de l’ankylose et le froid viennent nous infliger un autre supplice et nous ne pouvons fermer l’œil. Il y a déjà près de 10 centimètres de neige dans le boyau et sur nos vêtements. Nous avons froid, faim et soif, nous sommes déprimes et la tristesse du jour gris qui commence, sans envoi de ravitaillement, ne nous ranime guère.

Vers 8 heures, la pièce de 90, la seule qui reste à la batterie, se met à tirer. Alors ! C’est aussitôt dans notre direction un feu d’enfer. Par huit toutes les 20 secondes, les 305 s’écrasent vers la batterie. C’est un vacarme assourdissant. Le feu est tellement violent que nous avons l’assurance qu’H n’y en a que pour quelques minutes.

La tête baissée dans la tranchée, nous entendons les coups sourds des d parts, et presque aussitôt les hurlements d’un ouragan, suivis d’un tremblement de terre accompagne d’un fracas terrifiant. Puis le tir se précipite encore et nous entendons les départs par huit, dans le bruit de la salve précédente qui arrive en hurlant. La tête nous sonne, les oreilles sifflent, quelques camarades saignent du nez, le cœur fait des bonds désordonnés sous les commotions et les déplacements d’air.

Le tir prend maintenant une précision effrayante. N’ayant pu atteindre la pièce qui tire encore de temps à autre, les Boches entreprennent de battre le terrain par un barrage mouvant et très serré. Le tir se trouve à 150 mètres devant nous ; les obus tombent maintenant alignes par 8 de front et, à chaque salve, avancent d’un mètre ou deux.

Nous avons la tête brisée par le bruit et la réaction nerveuse commence à nous faire danser dans le boyau. Une chose effrayante et qui ne peut s’effacer de ma mémoire, c’est la « Ballade des arbres », de ces gros arbres des forêts, déracinés par la chute à leur pied des gros obus et qui montent doucement, avec branches et racines, comme un départ de ballon, pour se promener lentement en l’air, comme en suspension, puis subitement s’abattent comme la foudre, de tout leur poids, écrasant tout ce qu’ils rencontrent.

Un de ces gros arbres tombe en biais vers le bout du boyau et s’incruste de tout son diamètre en incisant les parapets. Plusieurs camarades blesses ont du mal à se frayer un passage.

Le 90, sentant sa fin prochaine, tire maintenant sans discontinuer. Pendant que nous sommes écrasés sous des tonnes de projectiles allemands, il nous prend une rage qui m’enserre la gorge en entendant un 90 ou un 120 répondre aux 305 et aux 380 de l’artillerie boche…

Vers dix heures du matin, le boyau n’est plus tenable. On voit des obus tomber avec un allongement d’un mètre à chaque salve. Dans quelques minutes, nous allons mourir écrasés ou pulvérisés. Nous sommes couverts de pierres, de terre, de branches, de tous débris projetés par les explosions. Nous sentons que c’est la fin dans quelques instants, le terrain est battu partout et rien ne va subsister. Sans avoir le temps de me reconnaître, je suis « souffle » par une explosion toute proche et jeté sans mal sur le parapet. Les plus engagés au loin dans le boyau refluent vers nous, les visages saignants et produisent une certaine panique. Ils descendaient vers la route en nous marchant sur le dos, avec des gestes de fous.