Reflections on the War

From Derniers combats

Written by Nelly Roussel

Translated by Sarah Adams

 

Paris, 30 November 1914

It’s amidst the fresh calm of a sweet landscape in the Ile-de-France, one of those “nests of greenery” that are so soothing and cheerful and that the Parisian suburbs are so full of, that the lightning strike of mobilization caught me by surprise, right in the middle of a vacation. And since then, despite so many events, despite the hasty departure for Paris, at a time when the threat of engagement made me fear that I wouldn’t return, despite the changes and complications, the constant worries increasing each day, I’ve been living in a stupor. That all these facts are real, that all the horrifying stories in the newspapers aren’t simply part of an ongoing serial, that the words “war” and “during the war” apply to the present and no longer to a distant era, the memory of which makes our mothers turn pale…and after more than three months, my heart and my mind still refuse to admit it. Yet I have to face the facts. Alas, it isn’t even that far from me—in fact, it wouldn’t take much for it to arrive right here; the theatre where this plays out is almost unbelievable and, nevertheless, true—a tragedy.

But how, from this whirlwind of emotions, of feelings that are renewed each day, am I to form a precise idea? How, at times when I recognize the reality of things, am I to understand the feelings that overwhelm me—feelings of sadness, of rage, of contempt for a human race that is capable of such astounding and criminal folly?

And let there be no ambiguity. I am by no means about to sing the praises of universal love. I don’t at all dream of an inert peaceful world, one of dumbstruck bliss; that’s neither possible nor desirable. I understand the necessity as well as the beauty of the eternal instinct to struggle, which compels all species to last and progress. In my eyes, violence itself isn’t always inexcusable. But to me, international war, is an absurd deviation from this natural instinct, and the work of an erroneous civilization. Fight we must. But let us fight knowingly and freely for an idea, even a pipe dream; fight against natural evils, against social tyrannies, against things or against men, but in any case, always against an enemy that we ourselves recognize as such, and not one that we hate by tradition, prejudice, or obedience.

Now, this enemy is never an entire people, because a “people” is composed of too many diverse elements and contradictory tendencies. No people exists where each of us can’t find kindred spirits, while among our compatriots, a lot of us will always seem to be strangers. Hate between different peoples is notwhatever has been claimeda natural or instinctive sentiment; it is the monstrous creation of those who either have or believe that they have an interest in armed conflicts. Haven’t we often seen—and don’t we still see—“enemies”, who said very sincerely that they couldn’t be reconciled, forge strong alliances and suddenly discover every virtue in one another, deploring the misunderstandings that separated them for so long?…But neither their friendship today, nor their animosity of the past, comes from a profound intuition. They are no more than political affairs.

It is so easy for those who have education and the press in their power to create an atmosphere that favors their designs; to create false sentiments on top of real and permanent differences of opinion, along with a fleeting and collective passion that guides the masses. It is so easy to deceive two peoples about each other’s intentions, and at an appointed time make them throw themselves at one another with equal faith in the justice of their cause!

And this gives rise to the vain reasoning concerning the convenient distinction between “offensive” war and “defensive” war. “Offensive” war? In our era, what government would dare to rally its people toward that? Or admit to them its desire to attack and conquer? The people, who never know what this all means, believe that it is the enemy who started it.

That is why we would be unjust; we, the French, would lack clear-sightedness and generosity in kindindeed, despite the horrors that tear us apart, we didn’t get involved with the inextinguishable hatred of Prussian militarism and imperialism, with so much pitying indulgence for the first of their victims, the unfortunate people of Germany. Horribly misled by disloyal educators, abominably sacrificed to delirious and ferocious appetites, the blind will see clearly one day—a day that is, without a doubt, imminent, but it will take a hard lesson to open their eyes.

 

L’originale

Quelques réflexions sur la guerre

Paris, 30 novembre 1914

C’est parmi la sérénité fraiche d’un adorable paysage d’Ile-de-France, dans un de ces « nids de verdure », si apaisants et si gais, dont est prodigue la banlieue parisienne, qu’est venu me surprendre, en pleine « cure de repos », le coup de foudre de la mobilisation. Et depuis, malgré tant d’événements, malgré le départ, hâtif pour Paris, au moment où la menace d’investissement faisait craindre de n’y pouvoir rentrer, malgré les modifications et les complications de l’existence, les soucis constants chaque jour accrus…, j’ai vécu dans une stupeur. Que tous ces faits soient réels, que les récits horrifiants des journaux soient autre chose que le feuilleton quotidien d’un roman qui se prolonge, que ces mots « la guerre » et « pendant la guerre » s’appliquent à l’heure actuelle, et non plus à une époque lointaine   dont le souvenir faisait pâlir nos mères…, voilà ce que, après plus de trois mois, refusent encore d’admettre mon cœur et ma raison. Et pourtant, il faut bien se rendre à l’évidence. II n’est pas loin de moi, hélas ! — et peu s’en est fallu qu’il ne fut tout à fait chez moi — le théâtre où se joue cette presque invraisemblable, et neannoins vraie, tragédie !

Mais -comment, de ce chaos d’impressions, d’émotions, chaque jour renouvelées, faire surgir une idée précise ?… Comment, aux heures ou je prends conscience de la réalité des choses, savoir ce qui domine en moi, de la douleur, de la colère, ou du mépris pour une humanité capable d’une aussi formidable et criminelle folie ?…

Et qu’il n’y ait point ici d’équivoque. Je ne m’apprête nullement à entonner le cantique de l’amour universel. Je ne rêve point un monde de paix inerte, de félicité béate, qui n’est ni possible, ni souhaitable. Je sais la nécessité, et aussi la beauté, de l’éternel instinct de la lutte, auquel toute espèce vivante doit de durer et de progresser. La violence même, à mes yeux, n’est pas toujours sans excuse. Mais, de cet instinct primordial, la guerre internationale m’apparait comme une déviation absurde, œuvre d’une fausse civilisation. Lutter, certes, il le faut ! Mais lutter consciemment, librement, pour une idée voire pour une chimère ; lutter contre les fléaux naturels, contre les tyrannies sociales, contre les choses ou contre les hommes, mais, en tout cas, toujours, contre un ennemi qu’on a soi-même reconnu tel, qu’on ne hait point par tradition, par préjugé ou par obéissance.

Or, cet ennemi-là n’est jamais, ne peut pas être un peuple tout entier. Car un « peuple » se compose de trop d’éléments divers, de tendances contradictoires. Il n’est pas de peuple on chacun de nous ne puisse trouver des âmes sœurs, alors que, parmi nos compatriotes, beaucoup nous sembleront toujours des étrangers. La haine entre peuples n’est point — quoi qu’on en ait dit — un sentiment naturel, instinctif ; elle est une création monstrueuse de ceux qui ont, ou croient avoir, intérêt aux conflits armes. N’a-t-on pas vu souvent, ne voit-on pas encore, d’anciens « ennemis », qui, très sincèrement, se disaient irréconciliables, s’unir en des alliances étroites, se découvrir soudain l’un a l’autre toutes les vertus, et déplorer le « malentendu » qui les a trop longtemps séparés ?… Mais ni leur amitié d’aujourd’hui, ni leur antipathie de jadis ne viennent d’un instinct profond. Elles ne sont qu’affaires politiques.

II est si facile à ceux qui tiennent en leur pouvoir la presse et l’enseignement, de créer une atmosphère favorable à leurs desseins, de faire naitre, par-dessus les divergences réelles et permanentes, le sentiment factice, la passion collective et momentanée qui entraîne les foules ! II est si facile de tromper deux peuples sur leurs intentions réciproques, et de les faire, á l’heure choisie, se jeter l’un contre l’autre, avec une foi égale en la justice de leur cause !

Et ainsi apparait l’inanité de certains beaux raisonnements sur la distinction qu’il convient d’établir entre la guerre « offensive » et      la guerre « défensive ». La guerre « offensive » ?… Quel gouvernement oserait, à notre époque, y convier son peuple ?…  lui avouer des désirs d’attaque et de conquête ?… Le peuple, qui ne sait jamais que ce qu’on veut bien lui dire, croit toujours que c’est « l’ennemi » qui a commencé.

C’est pourquoi nous serions injustes, nous Français, nous manquerions de clairvoyance autant que de générosité, si, malgré les horreurs qui nous ne mêlions, nous ne mêlions pas, à l’inextinguible haine du militarisme et de l’impérialisme prussiens, beaucoup d’indulgence apitoyée pour la première de leurs victimes, le malheureux peuple d’Allemagne. Odieusement égaré par des éducateurs félons, abominablement sacrifie aux appétits féroces d’un dément, cet aveugle verra clair un jour — un jour sans doute prochain. Mais il lui aura fallu, pour ouvrir les yeux, une rude leçon !

(La Libre Pensée Internationale, 12 décembre 1914.)